Elora Weill-Engerer

critique, commissaire, historienne de l’art

Au-delà

Donner aux phénomènes invisibles et infimes de la nature une apparence et une forme serait le mot d’ordre d’Anne Damesin. Il ne s’agit pas ici de représenter ce qui est déjà là mais de s’approcher du processus de mutation qui régit les êtres et les plantes : natura naturans et non natura naturata. D’où une attention donnée aux lumières, aux mouvements, aux espaces entre les branches qui est ensuite retranscrite dans un travail artistique qui décline le sujet en séries, jusqu’à son épuisement.C’est comme si la pratique correspondait son tour à un cycle naturel : naissance, vie et mort. Par les matériaux, les couleurs et les formes, une dynamique de la mutation se révèle sans pour autant dire son nom. Ce principe se retrouve notamment dans la série des Anémochories, installations murales de papiers découpés et peints dont le revers projette une lumière colorée sur la surface où elles sont accrochées.

Le mode de dispersion par les vents des diaspores végétales est ici exploré à travers des structures fragiles et souples qui vibrent et se modifient en fonction de l’environnement où elles se situent. En dotant le dos du carton d’un reflet fluorescent, c’est l’imperceptible qui est doué de force et l’éphémère qui est instigué comme le principal moteur de la germination. Surtout, l’alliance du modèle végétal et d’une palette irisée accorde aux œuvres une dimension anachronique, les situant dans des temporalités diverses : elles sont à la fois précieuses et fragiles, anciennes et nouvelles. Une tension similaire entre un temps aussi long qu’il est passager parcourt la série Il suffit d’un grand morceau de ciel. Comme des ailes solitaires ou des pièces affranchissant le voyage vers un autre monde, des monnaies des papes figées dans une laque végétale entourent un miroir dichroïque. La structure, à nouveau, est en mouvement. Elle place le regard du côté de l’illusion et alimente la croyance qu’une magie est à l’œuvre dans les forces de la nature.

Christian Noorbergen

Critique d’art et commissaire d’exposition

Talismans d’âme

Art de trame où l’invisible incante sans fin l’étendue. La création enciellée d’Anne Damesin semble toujours vivre en apesanteur, et comme en suspension. Une infinie légèreté, omniprésente et fragile, oxygène chaque œuvre au profond. L’intimité qu’elle évoque est protectrice, enfouie, éphémère. Aux confins de la sensibilité. Son art aigu est dévoilement magique, intimité d’infra-monde, exhalée en calligraphie venteuse toujours allusive. Dans son écriture d’altérité, flottante, métamorphique et constamment vouée aux miracles ténus du hasard, tout ne peut pas venir de son mental, ni de son ego. Elle sait convoquer l’imprévisible du temps, car, en alchimiste décalée, elle expérimente à tout-va. Elle travaille en grande lenteur, prête toujours à accueillir les surprises qui surgissent des matières osées qu’elle prépare. Son art est un tissu d’autre vie qui navigue au-delà de l’humain. Ses lumières sont traversées d’ombre, et la transparence est son territoire.

L’éphémère précaire est son quotidien, et l’expérimentation constante sa libre passion. La répétition n’est pas son fort….

Anne Damesin aime l’hybridation qui relie tous les états secrets du monde, créant ainsi d’autres possibles. Elle s’aventure au-delà d’elle-même et se nourrit d’empreintes d’autres présences. Elle crée des liens entre la peau et les subtiles séductions du végétal. Elle s’aventure dans les marges de la nature, magique alibi d’une création toujours inventive, aux creux féériques du visible. Elle aime les nacres, les couleurs irisées travaillées par le temps, et la présence inouïe d’impensables fleurs de vie. 

Chaque signe d’art créé est un talisman d’âme.

Pierre Gilles 

Commissaire d’exposition

Pour Anne Damesin, le processus du travail présenté ici semble limpide : un dessin en mailles découpé (…)

Vient alors le temps d’une mise en couleur légère et poétique, quasiment imperceptible, histoire de ne pas peser.Ensuite, par une douce manipulation de cette dentelle, suspendue ou épinglée légèrement sur un support plat, les dessins se font objets et volumes, laissant passer les jeux d’ombres et de lumières.

Avec le trouble qui naît de la présence d’une autre ombre, celle là,  insidieuse et plus inquiétante puisqu’elle-même découpée dans le papier.

Une dialectique subtile du plein et du vide.

Catherine Gobet

 présidente d’Art Cime

De son geste généreux, Anne Damesin dessine la vie qui jaillit de toutes ses lignes.

Les rythmes et variations sont, pour elle, une source majeure d’inspiration, qu’elle incarne dans des lignes de couleurs, expression la plus pure de la pensée Elle part volontairement des couleurs primaires, dans une démarche pleine de retenue, quasi ascétique, puis elle donne du souffle à ses lignes qui surgissent de la toile dans une énergie primale. Car ces lignes ont leur matrice et tracent des chemins qui leur sont propres. Existe-t’il un code à déchiffrer? Chacun trouvera des réminiscences personnelles en suivant ces vibrations colorées. Anne Damesin a aussi voulu approfondir son travail de création dans l’abstraction et tout naturellement le volume s’est imposé à elle. Elle crée des  » tableaux en volume » et non pas des sculptures. Et, en effet, en partant de la toile, ces tableaux en trois dimensions intitulés » les échappées belles » nous emmènent dans une exploration poétique de l’espace. Anne Damesin n’est pas seulement guidée par une recherche intellectuelle, il y a une approche de la « suavité » de la matière en particulier lorsqu’elle travaille le bois, de tilleul ou de noisetier.Elle utilise d’ailleurs la caséïne, une peinture à base de lait qui confère à ses oeuvres une douceur gaie et sensuelle. Ses « fagots » ne sont pas de bois mort, bien au contraire.